Le Centre-Val de Loire est comme coupé en deux. Au nord l’Orléanais, le Vendômois et la Beauce où dominent les fromages de vache roulés dans la cendre de bois, enrobés de foin ou de feuilles de châtaignier, portant généralement le nom de leur ville (l’Olivet, le Pithiviers, la feuille de Dreux) ou de leur créateur (le Frinault). Au sud, la Touraine, la Sologne et le Berry sont des terres d’élevage caprin dotées de cinq AOP. Les fromages de chèvre contribuent ainsi fortement à la notoriété de la région. Visuellement et gustativement, chacun possède une véritable singularité. Pour mettre en valeur la diversité de goûts, de formes et de textures, on les associe souvent aux vins… de la région !
Ses origines remonteraient à 7 000, voire 10 000 ans avant Jésus Christ...
Cité dans l’épopée grecque antique l’Odyssée d’Homère, le fromage de chèvre se retrouve également dans de nombreuses recettes romaines. Ce n’est que lors de l’invasion de la Gaule par les Romains que la fabrication se développe sur notre territoire, en particulier au sud de la Loire qui jouit d’un climat favorable. Après avoir servi de monnaie d’échange au Moyen-Âge, les fromages de chèvre acquièrent leurs lettres de noblesse notamment grâce à Charles d’Orléans, qui avait pour habitude de les offrir en étrennes aux dames de la cour. Dès 1880, les producteurs de lait de chèvre se regroupent en coopératives. Et en 1829, un petit fromage de chèvre fabriqué en Sancerrois obtient l’appellation Crottin de Chavignol. Ce n’est qu’en 1972 qu’une AOC est donnée à un fromage de chèvre, le Pouligny-Saint-Pierre.
Version « fermière » par les producteurs eux-mêmes ou version « laitière » dans les laiteries-fromageries, la fabrication du fromage de chèvre suit cinq étapes incontournables : caillage, moulage, égouttage, salage et affinage. Pour le caillage, le lait est chauffé pendant 30 secondes à 74°C, puis ramené à une température de 18-19°C. Des ferments lactiques et de présure sont ensuite ajoutés pour permettre la lente coagulation du lait. Une fois égoutté, le caillé solide est séparé du petit lait. La matière obtenue est déposée dans des moules perforés aux formes diverses : cylindre, pyramide, brique ou bûche… c’est à ce stade qu’est déterminée la forme définitive du fromage. L’égouttage, qui dure environ 24 heures dans un lieu frais et sec, concerne le reste de » petit lait » contenu dans le caillé. Suit une étape de salage, qui permet de relever le goût du chèvre et de faire obstacle à la prolifération de micro-organismes. Certains fromages de chèvre seront consommés frais après avoir été égouttés, tandis que d’autres vont poursuivre leur maturation. C’est la phase d’affinage. Disposés sur des claies une à cinq semaines dans une pièce maintenue à 10 -11°C, les fromages sont régulièrement retournés à la main. Le caillé frais devient peu à peu une pâte qui, en fonction des flores d’affinage utilisées, se recouvre d’une fine croûte de couleur blanche, jaune ou brune. Pour apprécier leur maturation, place au fromager ou à l’affineur qui juge au toucher, au coup d’œil, à l’odorat et au goût.
Une AOP garantit l’origine et la typicité d’un produit issu d’une aire de production délimitée. C’est aussi l’assurance qu’un produit a été fabriqué selon un savoir-faire transmis de génération en génération et transcrit dans un cahier des charges précis. Berceau de 5 des 14 AOP fromagères caprines françaises (représentant plus de 60 % de la production nationale en AOP), le Centre-Val de Loire compte 650 exploitations et 90 000 chèvres (source : Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation). Trois races sont principalement utilisées pour les fromages de chèvre de la région : l’Alpine chamoisée, la Saanen ou la Poitevine. Focus sur ces cinq appellations d’exception réparties sur cinq terroirs et émanant de cinq traditions fromagères.
Reconnaissable à sa paille de seigle qui le traverse de part en part, le Sainte-Maure de Touraine est moulé à la main sous forme de bûche longue de 16 à 18 cm. En fonction de l’affinage, sa texture devient plus sèche et cassante et son goût plus prononcé. Aujourd’hui la paille est gravée du nom d’appellation et du numéro d’identification de la fromagerie, assurant sa traçabilité et sa provenance…
Avec sa forme pyramidale à base carrée inspirée du clocher de l’église du village du même nom, le Pouligny-Saint-Pierre fait l’unanimité depuis le XVIIIe siècle. Son goût diffère en fonction de l’affinage : « en blanc » pour une saveur acidulée aux arômes de fruits secs, « en bleu » pour une saveur caprine corsée. Ses caractéristiques ? Une croûte fine recouverte de légères moisissures blanches et bleutées et une texture crémeuse et fondante.
AOP depuis 1996, il est considéré comme le « grand cru » des crottins ! Sa pâte est ferme et blanche, sa croûte devient bleutée au fil du temps. Ses arômes vont des saveurs de noix et de noisettes s’il est sec à celles de sous-bois s’il est affiné. Son nom, qui n’a rien à voir avec les selles de chevaux, viendrait du berrichon « crot » qui désignait les « trous » où les femmes lavaient leur linge, bordés d’un sol argileux qui servait à fabriquer des moules à fromage pour égoutter le caillé.
L’histoire raconte que Talleyrand aurait tronqué sa forme pyramidale pour ne pas rappeler à Napoléon sa défaite en Egypte ! Cendré avec du charbon végétal, il est ensuite affiné, ce qui lui confère sa couleur gris clair à gris bleuté. Originaire de deux régions de l’Indre, le Boischaut Nord et la Champagne Berrichonne, le Valençay affiche une pâte fine et onctueuse enfermant des arômes allant de la noix fraîche aux fruits secs.
Avec sa forme de galet, sa pâte molle et blanche et sa croûte délicatement cendrée (autrefois des cendres, aujourd’hui du charbon végétal), le Selles-sur-Cher dégage des arômes de chèvre sur la croûte et de noisette dans la pâte. Produit à la jonction du Berry, de la Touraine et de la Sologne, ses parfums variés proviendraient des 400 espèces végétales présentes dans cette zone dont se délectent les chèvres.
Comme le veut la tradition française, ces fromages se dégustent souvent en fin de repas, après les plats et avant le dessert. Mais dans la région, on les déguste aussi à l’apéritif, leur saveur étant totalement révélée avec des vins… de la région. Les blancs sont donc à l’honneur. Légers, secs et fruités pour les chèvres frais, gras ou moelleux pour les chèvres plus forts en goût. Pour exemple, Reuilly blanc et Sauvignon de Touraine ou du Berry sont irréprochables avec le Pouligny-saint-Pierre. Le Chavignol et le Sancerre blanc forment une alliance parfaite. Le Sainte-Maure de Touraine et le Selles-sur-Cher s’accommodent avec un blanc sec de type Sauvignon ou Chenil de Touraine. Et le Valençay file le parfait amour avec… un Valençay !
Créée en 1954, l’usine d’Eurial qui fabrique les deux AOP fonctionne sept jours sur sept. Mais attention ! Ici, on ne mélange pas les laits. Les vingt mille litres de lait fermier journaliers sont stockés dans deux tanks distincts. Après vingt-quatre heures d’égouttage et de moulage et dix jours d’affinage à différentes températures, quatre à cinq mille Pouligny et sept à huit mille Sainte-Maure sortent chaque jour de l’usine. Un travail entièrement artisanal qui suit scrupuleusement le cahier des charges établi par l’AOP. C’est ainsi qu’en 2018 le savoir-faire de l’entreprise a été récompensé par des médailles d’or et d’argent, décernées au salon de l’agriculture.