Le modèle anglo-saxon du service continu gagne du terrain dans les pays latins. Seule la France accuse un wagon de retard, notamment les restaurants gastronomiques.Entretien avec Bernard Boutboul, président de Gira conseil.
Les Etats-Unis l’ont mis en place et les pays anglo-saxons ont suivi, ainsi que le Nord de l’Europe. Depuis une dizaine d’année, les pays latins ont également adopté le modèle. En Espagne, en Grèce et au Portugal, les restaurants sont ouverts de midi à minuit, et pas que pour les touristes ! Les locaux eux aussi fréquentent les établissements à toute heure de la journée. Seule la France est à la traîne, restauration rapide et chaînes mises à part. Dès 1961, Courtepaille s’installait en bord de route, proposant au consommateur de s’arrêter à toute heure. Le service continu était alors son axe de communication. En 1968, Hippopotamus fait de même dans les centres-villes. Mais ça s’est arrêté là, pour des raisons purement économiques, les restaurateurs ne souhaitant pas embaucher du personnel supplémentaire. La France est donc le seul pays à arrêter son service à 14h. C’est un vrai manque à gagner pour les restaurateurs, et une désolation pour les touristes (les Espagnols ne déjeunent pas avant 15h, les Anglo-saxons cherchent une table pour dîner dès 17h30). Les locaux eux-mêmes attendent plus de flexibilité, notamment les professionnels, qui souhaiteraient pouvoir déjeuner après 14h et se rabattent sur la livraison de plats haut de gamme.
Tout à fait. Pourtant en France seules les brasseries et certains bistrots jouent (un peu) le jeu des horaires étendus, ainsi que les fast–food, qui ont très bien su prendre le créneau. Les restaurants gastronomiques peinent à se lancer dans le service continu. Les mentalités ont changé, mais le déclic n’a toujours pas eu lieu au sein de la profession. Les restaurants très haut de gamme auraient pourtant intérêt à le proposer. La plupart des touristes aisés (Coréens, Chinois, Russes, Japonais…) viennent goûter la haute cuisine française. Il en va de même pour les cadres supérieurs, souvent à la recherche d’un restaurant de renom pour leur déjeuner d’affaires, qui se décale de plus en plus avec le temps. Ces clients souhaitent clairement voir évoluer le créneau traditionnel 12h– 13h30. Si les étoilés étendaient leurs horaires, ils doubleraient leurs chiffres d’affaires !
Même s’ils se plaignent de subir les pics de 13h et 20h, les restaurateurs français ne veulent pas payer de personnel supplémentaire. A l’étranger, on note un étalement de la consommation, et le coup de feu du midi n’existe plus. D’ailleurs le service continu modifie la structure même du repas. Les nouvelles générations ont pris l’habitude d’échelonner leur repas et cherchent de nouvelles pauses gourmandes tout au long de la journée. Le classique entrée-plat-dessert a laissé la place à la formule entrée/plat ou plat/dessert. Dans les pays anglo-saxons, c’est le plat direct qui emporte les suffrages. Le soir les petites portions “à partager“ comme les mezze du Liban, les tapas espagnols, les antipasti en Italie ou le kémia en Afrique du Nord sont très rentables pour les restaurateurs.
Le buffet est le mode de distribution le plus adapté au service continu. Et le plus apprécié. On est libre, on choisit et on prend son temps. Un trio gagnant. La France avait lancé la mode des cartes courtes avec l’arrivée de la bistronomie. C’est aussi une bonne option pour les horaires étendus, car moins contraignant en cuisine. Les pays étrangers l’ont d’ailleurs adoptée, les Etats-Unis en tête. Côté service, la différence est flagrante entre les pays anglo-saxons et latins, … Beaucoup d’établissements ne proposent pas le WiFi, laissant filer le consommateur. Erreur ! Ceux qui travaillent ou jouent sur le Net après le repas ont tendance à commander un café, puis un plat sucré 1 heure après, et finalement une boisson, ce qui augmente la note. D’autant qu’aujourd’hui les espaces ont tendance à se modifier, avec des restaurants multi-ambiances : des tabourets hauts autour du bar pour l’apéro, des tables basses avec fauteuils pour le café, et des tables bien dressées pour les repas… autant faire vivre le lieu tout au long de la journée.
Les Anglo-saxons, après 40 ou 50 ans d’expérience en service continu, ont déjà mis en place le 24h/24, ce qu’ils appellent le « late night ». Et contrairement aux idées reçues, les fêtards ne sont pas les clients majoritaires. Les travailleurs du soir ou du matin sont très intéressés par le all day/all night. Et c’est vrai aussi chez nous : les équipes de la matinale à la radio, par exemple, veulent pouvoir manger à 2h du matin avant de prendre du service. Mais la législation française n’aide pas beaucoup les restaurateurs : les autorisations d’ouverture après 2h sont à demander à la préfecture… qui les refuse assez systématiquement pour des raisons de sécurité. Ainsi Paris compte seulement quatre restaurants ouverts 24h/24… une aberration dans la ville la plus visitée au monde !