Compte tenu des frais engagés pour financer quotidiennement ce type de service au sein des entreprises, la baisse de la fréquentation a un impact immédiat sur l’équilibre économique. Notamment les petites et moyennes entreprises, qui vont devoir faire des choix radicaux. La restauration collective est un métier plutôt jeune, un demi–siècle d’existence environ, qui n’a jamais connu de crise majeure, en tout cas pas de cette intensité.
Le Covid est avant tout une crise liée à la fréquentation des lieux de restauration : cet élément est déterminant, car cette chute drastique de la demande met à mal les fondements économiques de la restauration collective.
La période de confinement a gelé les contrats en cours qui n’étaient plus applicables à cause des frais fixes. Les prestataires de la restauration ne pouvaient plus refacturer, ces frais étant par ailleurs en augmentation car il a fallu doubler certains postes et consacrer des dépenses supplémentaires pour respecter les mesures de distanciation.
Manifestement le modèle français à l’ancienne basé sur le forfait sur dépenses contrôlées ou la gestion à livre ouvert va changer. Le secteur va s’orienter vers une cogestion et un pilotage plus flexible, plus fin et plus pertinent des contrats. Ce qui implique côté collectivités de s’intéresser d’un peu plus près à la modélisation de leur restauration, à ce que font les prestataires de l’argent octroyé. Le tout forfait a montré ses limites. Chaque partie doit désormais prendre en compte les contraintes de l’autre. Ce qui n’était pas le cas avec l’ancien modèle. Il faut trouver de nouveaux équilibres. Rien n’est écrit, tout est à inventer. Les acteurs de la restauration collective vont devoir expérimenter.
Toutes les parties sont concernées et doivent travailler ensemble. L’enjeu est surtout entre collectivités (entreprises donc) et prestataires car il s’agit d’une prestation externalisée dans plus de 80, voire 85% des cas.
Dans un contexte fortement subventionné, il faut redéfinir les conditions sur le court et le long terme. Les leaders de la profession retrouveront un régime de croisière, mais il ne sera plus jamais le même qu’avant la crise du Covid. En moyenne, la diminution de la demande au sein des restaurants d’entreprises est de 20 à 25%. Certains étant plus touchés que d’autres, comme les tours de bureaux à la Défense par exemple, qui regroupent des activités tertiaires et où le télétravail va énormément se développer (vers moins de transports pour les collaborateurs, moins de frais de structures pour les employeurs…). L’entreprise va continuer à subventionner les déjeuners car cet avantage en nature est considéré comme un dû, que le collaborateur travaille au sein de l’entreprise ou chez lui. Les gros opérateurs des tickets-restaurant ont d’ailleurs senti qu’il y avait des parts de marché à récupérer.
En entreprise, il faudra trouver des alternatives au plateau-repas consommé en salle à manger pour satisfaire les attentes des convives, notamment les millenials qui aspirent à des modèles de restauration différents du self. Armoires et frigos connectés, logistique de proximité, bases d’approvisionnement décentralisées… Nous irons vers des modèles plus nomades, moins coûteux, plus flexibles et plus sains. Pour la distribution des repas on sollicitera par exemple des fournisseurs de frigos ou d’armoires connectés comme Foodles, qui propose des plats à emporter à usage unique, recyclables et affiche une grande flexibilité en termes d’horaires. Les gens ne veulent plus attendre, surtout en période Covid. Le click & collect, qui permet la réservation anticipée de son repas en 1 click, va devenir la norme.
On est dans une période accélérée d’expérimentations à marche forcée. Revoir le modèle économique et donc le modèle de contractualisation entre donneurs d’ordre et prestataires. Faire entrer de nouveaux acteurs que sont les startups de la FoodTech. Mais on ne change pas d’ADN du jour en lendemain. Il faut repenser le modèle de A à Z, des concepts aux modes de distribution des repas. Selon moi, le plus gros risque pour la profession est l’inertie car il y a eu un état de sidération tel qu’il peut empêcher la remise en question. Heureusement la décennie écoulée avait déjà donné lieu pour d’autres raisons, qui étaient plus liées aux modes de vie en entreprise et aux nouvelles attentes des consommateurs, à une véritable réflexion et à un début de mutation.
On va vers une restauration multicanale : le self va évoluer, étendre ses horaires, des comptoirs de distribution vont naître avec un système de pré commande, les repas à emporter en dehors du lieu de travail vont se développer. Autant de points de marge et de volumes complémentaires. Sans multiplier les concepts de restauration qui coûtent cher, on peut évoluer vers des formes complémentaires, en partant des mêmes capacités de production en termes d’outils, d’installation ou de cuisine. Il existe déjà au sein des entreprises des formats de restauration rapides dits destructurés, comme Paul, Brioche Dorée, Exki ou Starbucks. Ces corners risquent de se multiplier demain, proposant un espace de consommation agréable et confortable avec des plages d’ouverture étendues. L’autre alternative au self sont les armoires connectées, comme je l’évoquais précédemment. La digitalisation offre des solutions plus souples et plus ouvertes. Ce qui implique de passer par d’autres acteurs. C’est toute la complexité du moment. Les opérateurs traditionnels du marché de l’entreprise vont devoir nouer des partenariats avec des acteurs de plus petite taille, plus agiles, plus réactifs (comme Foodles, Nestor Paris, Melchior, FoodChéri) pour une restauration en partie livrée, en partie en armoire, avec des logiciels de commande et de précommande astucieux qui permettent un suivi des ventes. Les acteurs de toujours ont la connaissance du secteur et de ses spécificités, les petits nouveaux ont l’agilité, la souplesse et la réactivité mais pas les reins assez solides ni une connaissance assez poussée du marché. Les alliances seront donc de mise.
Cette revendication de toujours est d’autant plus vraie aujourd’hui. Les crises alimentaires (vache folle, viande de cheval, etc.), même si elles ne concernaient pas directement la restauration collective, avaient initié le virage vers le plus frais, plus local, plus bio. Cette aspiration à la fraicheur et à la transparence est plus que jamais plébiscitée. Ce qui n’est pas incompatible avec les nouveaux formats et modes de restauration. En dix ans, la restauration rapide a prouvé qu’elle était capable de délivrer du bon et du sain tout en restant pratique et nomade. C’est au tour de la restauration collective de faire ses preuves…
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