C’est notamment sous l’impulsion de l’industrie du luxe que le noir s’est démocratisé dans nos assiettes. Les tendances en matière de décoration et de mode influencent en effet directement les grands chefs. Et ces dernières années, pour signifier qu’une nouvelle tendance est cool, on dit qu’elle est “le nouveau noir“ (the new black). Des chefs comme Akrame Benallal ou Michel Sarran arborent d’ailleurs des vestes noires qui détonnent avec leurs salles de cuisine blanches immaculées.
En déco, le moderne chic se traduit par des intérieurs sombres. Au plafond, sur les murs ou par petites touches, le noir s’impose dans de nombreux restaurants. À Londres, le Lucky Cat by Gordon Ramsay est la nouvelle adresse dont tout le monde parle. Parquet en bois sombre, plafond noir, cannes de bambou peintes en noir… la peinture matte, qui ne reflète pas la lumière, plonge les convives dans l’intimité et les incite à se concentrer sur l’assiette. À Paris, le Jules Verne, restaurant culte de la tour Eiffel, a récemment laissé la main à l’architecte d’intérieur Aline Asmar d’Amman pour refaire la déco. Résultat : un look total-black avec une multitude de cadres noirs accrochés sur un mur noir pour l’entrée, et un jeu de couleur noir et or parfait pour mettre en scène la cuisine triplement étoilée de Frederic Anton. Dans le 8e arrondissement, la Vinoteca a créé un esprit couture grâce aux murs noirs et aux banquettes en coton tressé noir, qui tranchent avec le mobilier très coloré. Au Sud-Ouest de Lyon, la Forêt Noire porte bien son nom avec son papier peint « Midsummer Night » de chez Wall&Deco et son sol en damier noir et blanc.
Le groupe “Dans le Noir ?” a poussé le concept encore plus loin, plongeant les convives dans le noir complet pour manger. Le succès de ses différents établissements en France, Espagne, Russie ou Australie prouve qu’il a eu raison de miser sur cette expérience inédite. On y va les yeux fermés pour dîner à l’aveugle, l’obscurité étant totale.
Pour ceux qui ne connaissent pas, le principe est audacieux : conduit à table par un « guide-serveur« (tous sont aveugles ou malvoyants), le convive ne doit faire confiance qu’au toucher, au goût et à l’odorat pour tenter de deviner ce qui se trouve dans son assiette. Toujours de haute volée, pour faire rimer handicap et qualité. Pour la petite histoire : ces dîners dans l’obscurité étaient déjà organisés par les associations de personnes non-voyantes au milieu du XIXe siècle pour sensibiliser les familles et leurs proches au handicap visuel.
Longtemps considéré comme peu appétissant, le noir en cuisine retrouve aujourd’hui le devant de la scène. De la street food aux plats gastronomiques, cette couleur envahit les tables des restaurants. Jolis à regarder et bourrés d’anthocyanes – de puissants antioxydants qui aideraient à lutter contre le cancer et d’autres maladies dégénératives –, les aliments noirs comme l’ail noir, le riz noir ou l’encre de seiche sont devenus les alliés des chefs.
Le sésame noir ? Riche en calcium, cuivre, fer, fibres et vitamine E. Le charbon végétal ? Détoxifiant naturel. L’encre de seiche ? Truffée de vitamines C et E, de protéines, de lipides et de minéraux. Le riz noir ? Riche en protéines, magnésium et vitamine E… Bons pour la santé, ils sont également beaux dans les assiettes. Les chefs les utilisent de plus en plus pour magnifier leurs créations.
Version salée, l’ail noir fait fureur en cuisine : confit à l’eau de mer et cuit à basse température (60 à 80 °C) dans une enceinte humide (70 à 90 %), il prend une texture similaire à celle d’un pruneau d’Agen. Il s’utilise finement émincé dans des salades, grossièrement haché dans un plat de pâtes ou un risotto, ou réduit en purée. Le loumi, un citron noir bouilli dans de l’eau salée et séché au soleil pendant plusieurs semaines, est très utilisé dans la cuisine perse comme condiment pour son goût d’agrume intense et singulier. Le chef Stéphane Jégo, à la tête de l’Ami Jean (département Ile de France, 75), utilise son propre citron noir (des citrons corses bio qu’il laisse confire très longuement dans de l’eau additionnée de sucre dans un four spécial à 75°C) pour mettre en valeur le produit qu’il accompagne, que ce soit une viande, un poisson ou un légume.
Au rang des préparations préférées du chef figurent la côte de cochon lardée au citron noir et l’échine de porc rôtie tartinée de basilic et de citron noir. Mathieu Viannay, chef du mythique restaurant La Mère Brazier à Lyon, utilise quant à lui la pâte de sésame noir pour rehausser les marinades, apporter de la profondeur aux vinaigrettes, parfumer les sauces pour la viande ou le poisson et amplifier la saveur des soupes comme le Dan Dan Mian à base de nouilles. Chez Yaya à Saint-Ouen, le chef colombien Juan Arbelaez utilise un produit du terroir grec, les olives noires de Kalamata, pour colorer son pain pita.
Version sucrée, le sésame noir, une variété à part au goût intense très utilisée dans la cuisine japonaise, est devenu la coqueluche des chefs pâtissiers, qui l’emploient pour sa saveur prononcée et sa belle couleur dans leur panna cotta, crème brûlée, tartelette, éclair, mousse… Cet été, on a également noté l’engouement pour la glace noire à base de charbon, qui a l’avantage de ne pas changer le goût du parfum choisi (vanille, noisettes, etc.).