L’étymologie du mot pizza a fait couler beaucoup d’encre. Bizzo (morceau de pain, fouace), d’origine germanique ? Picea (gâteau), d’origine latine ? Ou d’origine grecque, le terme πἰττα désignant un pain plat ou un gâteau feuilleté qui se serait répandu entre le 7e et le 9e siècle dans les territoires italiens dominés par l’Empire romain d’Orient ? Cette dernière possibilité, la plus renseignée, dit que c’est dans les Pouilles et en Calabre que le πἰττα grec aurait rencontré un mot autochtone non identifié pour donner pizze, qui apparaît pour la première fois en latin en 997 à Gaète, ville sous influence byzantine située à 100 km de Naples… Pour une source plus sûre, il faut attendre 1524 le Manoscritto Lucano, un recueil de recettes de picza, des tourtes sucrées au fromage agrémentées d’eau de rose, de pignons de pin, de lait d’amande, de noix, de bourrache, de saindoux, de musc ou de cannelle. Plus tard (1570), dans le monumental Opera de Barolomeo Scappi, le terme pizza désigne indépendamment une tourte à la chair de pigeon broyée avec des dattes, du massepain et de la crème fraîche, un gâteau feuilleté à la fleur de sureau ou une focaccia à la pâte levée.
Dans Pizza, Cultures et mondialisation (CNRS Editions, 2016), l’anthropologue Sylvie Sanchez relate les grands mouvements migratoires du 19ème siècle de la « botte » vers la France et les Etats-Unis. Près de 26 millions d’Italiens s’expatrient entre 1850 et 1900, exportant une part de leur culture à travers la pizza. Mais la véritable explosion de la pizza à l’international date en réalité des années 1960. Les Américains l’intègrent à leur american way of life comme un plat à manger sur le pouce, efficace et rapide. La France se l’approprie quant à elle en tant que spécialité régionale typique de la Provence. Par effet boomerang, face au succès de la pizza outre-Atlantique, les Italiens commencent à construire une mémoire historique autour d’elle et la brandissent comme un étendard de l’identité italienne, en réaction épidermique à l’impérialisme américain.
Lors d’un déplacement d’Umberto Ier à Naples pour rallier les Napolitains récalcitrants à l’unité italienne, sa femme Margherita s’enthousiasme pour une pizza qui porte les couleurs du drapeau italien : rouge (la tomate), blanc (la mozzarella), et vert (le basilic). Un classique désormais incontournable dans toutes les bonnes pizzerias.
Née à Naples au 16ème siècle pour nourrir le peuple, la pizza est une pâte nue enduite de saindoux cuite dans un four à bois (pizza bianca) qui sert de casse-croûte aux employés des boulangeries. Il faut attendre la fin du 17e siècle et l’adoption de la tomate ramenée d’Amérique du sud pour que la pizza rossa s’impose. Au cours du 18e siècle, on la consomme sur place dans des établissements spécialisés qui approvisionnent également les vendeurs de rue appelés lazzari ou lazzaroni. Peu à peu elle se démocratise, vendue dans la rue par des marchands ambulants qui transportent leurs propres fours afin de maintenir les pizzas chaudes. Avec le temps les ingrédients comment à varier. Lors de son voyage à Naples, Alexandre Dumas en donne une description précise dans son Corricolo publié dans la presse en 1842 : une pâte boulangère salée à l’huile, au lard, au saindoux, au fromage, aux tomates ou aux petits poissons.
Mais la pizza reste le plat des pauvres. Il faut attendre 1889 pour qu’elle acquière ses lettres de noblesse : lors d’un déplacement d’Umberto Ier à Naples pour rallier les Napolitains récalcitrants à l’unité italienne, sa femme Margherita s’enthousiasme pour une pizza qui porte les couleurs du drapeau italien : rouge (la tomate), blanc (la mozzarella), et vert (le basilic). Un classique désormais incontournable dans toutes les bonnes pizzerias. C’est seulement dans la deuxième moitié du XIXe siècle qu’elle traverse les frontières italiennes, avec les premiers immigrés… Les centaines de milliers d’italiens débarqués en France ou aux Etats-Unis font découvrir la pizza à leur pays d’adoption. Au fil du temps, la pizza s’intègre, non sans quelques entorses à la recette, à un style de vie occidental, épousant toutes les cultures sans jamais perdre son identité. A la fin de la Seconde Guerre Mondiale, les ouvriers italiens font connaitre leur plat national au reste de l’Europe.
Dans les années 30, la pizza fait son trou dans le quartier italien de Marseille et dans Little Italy à New York. Les Américains refusent les saveurs trop fortes comme l’ail qui, pensent-ils, pourrait exciter le corps. Ils adaptent alors la pizza en misant sur le fromage. A l’époque, la pizza se vend et se mange dans la rue, pliée en portefeuille. Il faut attendre les années 40 pour qu’elle devienne un plat principal. Et qu’elle s’installe à Chicago sous forme de pie, avec une série de couches d’ingrédients, notamment de la viande. Trop épaisse, elle ne peut plus être cuite rapidement au feu de bois. Elle s’industrialise, ouvrant la voie au fast-food.
A Marseille, plutôt que de reproduire à l’identique la recette originelle, les pizzaïolos utilisent les produits locaux pour populariser une pizza 100 % locale, comme la classique moitié anchois – moitié fromage. Puis chaque communauté apporte sa sauce : les Arméniens, les Corses… créant une diversité à l’image de la ville. Pendant la guerre, beaucoup de restaurants soumis aux tickets de rationnement doivent fermer. Comme la pizza ne coûte pas cher à fabriquer, seules les pizzérias restent ouvertes et deviennent des enclaves un peu joyeuses. Cela donne l’idée aux migrants italiens d’ouvrir des pizzerias à Paris, la première étant inaugurée en 1950.